As The World Turns

9/11, Iraq, Abu Ghraib... a 43,000-mile motorcycle trip reveals a lot about how Americans are seen around the world

Le Monde Tourne

11-septembre, Irak, Abu Grahib... Un voyage en moto de 70.000 kilomètres en dit long sur la manière dont les Américains sont perçus à travers le monde.



I have a passion to experience most everything; I have been a sorority girl, a stripper[*](Don't freak, it was with a friend as a dare), a Zen practitioner, a teacher and a business owner. I grew up in the Midwest and after graduating college, I began exploring many alternative lifestyles. I was active in civil rights campaigns, AIDS benefits and other forms of activism. I considered myself well-educated, tolerant, and open-minded. And then... I left America.
J'ai une passion qui me pousse à vivre toutes sortes d'expériences; j'ai été étudiante fêtarde, strip-teaseuse[*](Flippez pas, c'était une sorte de défi), adepte de Zen, éducatrice et patronne de commerce. J'ai grandi dans le Midwest et après l'université, j'ai commencé à explorer une série de modes de vie alternatifs. Je fus active dans les campagnes pour les droits civiques, les levées de fonds au profit du sida et d'autres formes d'activisme. Je me considérais éduquée, tolérante et ouverte d'esprit. Et puis... j'ai quitté l'Amérique.


I wanted to discover and understand other countries and their cultures, but nothing had prepared me for what was to unfold. In early 2002, just months after the attacks of 9/11 occurred, I left the US with my boyfriend Pierre Saslawsky. On two motorcycles, we planned to complete an around-the-world journey across 6 continents and 48 countries during which I learned more about myself and my country from the outside than when I was actually living here in America.
Je voulais découvrir et comprendre les autres pays et leurs cultures, mais rien ne m'avait préparé à ce qui allait se dévoiler. Au début 2002, quelques mois à peine après les attaques du 11-septembre, j'ai quitté les US avec mon copain Pierre Saslawsky. Sur deux motos, nous avions le projet de faire un voyage autour du monde à travers 6 continents et 48 pays pendant lequel j'en ai plus appris sur moi-même et mon pays depuis l'extérieur que lorsque je me trouvais ici en Amérique.

Our prejudices, motivations and rationalizations, our truths and our lies, all became more apparent. There is something unique in being an American: no matter where you go, you can't avoid being confronted by your own identity as a citizen. The US policies affect people all over the world while we, as a nation, are affected really by no other.
Nos préjugés, motivations et rationalisations, nos vérités et nos mensonges, devinrent tous plus apparents. Il y a quelque chose d'unique quand on est Américain: quel que soit l'endroit où l'on aille, on ne peut s'empêcher d'être confronté à sa propre identité en tant que citoyen. Les décisions américaines affectent les gens partout au monde alors que nous, en tant que nation, ne sommes affectés en fait par personne.




February 2003: The case for the war in Iraq is mostly wrapped. Talks are underway at the United Nations but everybody knows it is just a question of days until the invasion starts. Algeria is probably not the best place to be. The country is just recovering from a civil war between the military regime and Islamist groups that lasted 10 years and cost over 100,000 lives.

We are concerned about my American citizenship and we think of different ways to approach it. Should I pretend I'm Canadian or Irish? Should I not say a word, wear a veil, and let my French man talk for me? It doesn't take long until we figure out that the best way is simply to tell the truth: "I am American and I'm against the war!"
Février 2003: Le dossier argumentant pour la guerre en Iraq est quasiment bouclé. Les négociations sont en cours aux Nations-Unies mais tout le monde sait que ce n'est qu'une question de jours avant que l'invasion commence. L'Algérie n'est probablement pas le meilleur endroit où se trouver en ce moment. Le pays récupère juste d'une guerre civile entre le régime militaire et les groupes islamistes qui dura 10 ans et fit 100.000 victimes.

Nous nous inquiétons de ma nationalité américaine et pensons à différentes manières d'approcher le problème. Dois-je prétendre être Canadienne ou Irlandaise ? Ou ne pas dire un mot, porter le voile et laisser mon Français parler pour moi ? Ça ne nous prend pas longtemps pour découvrir que le meilleur moyen est tout simplement de dire la vérité: "Je suis Américaine, et je suis contre la guerre !"

Everywhere, at military road blocks or talking to locals, as soon as I say it, it makes people smile and cheer: "We know that a lot of Americans are against the war, we saw the demonstrations in the news. Welcome to Algeria!" These warm welcomes last throughout the country. People stop on the road to offer us dates, bread or water -- even money at one occasion. For 3,000 miles, up until the border crossing while exiting the country, we hear "Welcome to Algeria! Be welcome here!"
Partout, aux contrôles militaires ou dans la rue, dès que je dis ça, les gens sourient ou se réjouissent: "Nous savons que plein d'Américains sont contre la guerre, nous avons vu les manifestations à la télé. Bienvenue en Algérie !". Ces accueils chaleureux durent tout le long du pays. Les gens s'arrêtent pour nous offrir des dates, du pain ou de l'eau -- même de l'argent une fois. Sur 5.000 kilomètres, et jusqu'à la frontière alors que nous quittons le pays, nous entendons "Bienvenue en Algérie ! Soyez les bienvenus ici !"

Why did it turn that way? Probably because all over North-Africa, people are tuned to American, European and Arabic channels for their news. You can see houses, which are sometimes nothing more than Tuareg tents in the desert, with a power generator on the side and a satellite dish on top. By some aspects, they do receive a more balanced and wider perspective news than most people at home. A group of kids 10 to 13 years old, when seeing our French license plates, are not cheering the name of Zidane, the world-famous soccer player, but De Villepin, the French Foreign Affairs Ministry who spoke out against the war. They can refer to Collin Powell and Donald Rumsfeld by name and know more about world policies than many college educated kids I've met.
Pourquoi les choses ont-elles tourné de cette manière ? Probablement parce que partout en Afrique du Nord, les gens son branchés sur les chaînes américaines, européennes et arabes pour recevoir les nouvelles. Vous pouvez voir des logements, parfois rien d'autre qu'une tente Touareg dans le désert, avec un générateur sur le côté et une antenne satellite plantée dessus. D'une certaine manière, ils reçoivent vraiment des informations plus équilibrées et d'une plus large perspective que la plupart des gens chez nous. Un groupe de gosses de 10 à 13 ans, en remarquant nos plaques d'immatriculation françaises ne s'exclament pas à propos de Zidane, le fameux footballeur, mais De Villepin, le Ministre des Affaires Etrangères qui parla contre la guerre. Ils mentionnent les noms de Colin Powell ou Donald Rumsfeld, et en savent plus sur la politique mondiale que beaucoup d'étudiants que j'ai rencontrés.

The Sahara lays in front of us: four days of intense riding across shifting sands. Bandits pray on smugglers while the military controls the lone fuel depot. It feels like Mad Max country, where gasoline and water are the most precious goods. At home it is my creative skills that sustain me, whereas here it is strength, resourcefulness, and a bit of luck that keeps one intact. As we cross the border, we learn that 33 tourists were kidnapped a week before. I still felt confident, but I began to feel like my confidence is just one more illusion.
Le Sahara s'étend devant nous: quatre longs jours de moto à travers les sables. Les bandits tendent des embuscades aux contrebandiers alors que les militaires contrôlent le seul dépôt de carburant. On se croirait dans Mad Max, où l'essence et l'eau sont les denrées les plus précieuses. A la maison, c'est ma créativité qui me fait vivre, tandis qu'ici c'est la force, la débrouillardise, et un soupçon de chance qui te garde en vie. Alors que nous franchissons la frontière, nous apprenons que 33 touristes se sont fait kidnappés la semaine d'avant. Je me sens toujours sûre de moi, mais je commence à sentir que cette confiance n'est qu'une illusion de plus.




We arrive filthy and bruised into Niger. Landlocked and mostly covered by the Sahara desert, it is one of the 20 poorest countries in the world. Television is still a luxury here, so people gather around TV sets at night in cafes or in the street to watch sports and series. News often come from the radio except in the capital, Niamey, where several newspapers are distributed on very thin sheets of paper costing only a few cents. The headlines catch our eyes, though, blasting that one of the major points put forth by the US Administration to build the case for war is false.
Nous arrivons au Niger sales et fourbus. Sans littoral et couvert en grande partie par le désert du Sahara, le pays est l'un des 20 plus pauvres au monde. La télévision est encore un luxe ici, donc les gens se rassemblent le soir autour des récepteurs dans les cafés ou dans la rue pour regarder du sport ou des séries. Les nouvelles viennent essentiellement par la radio, sauf dans la capitale, à Niamey, où plusieurs journaux sont distribués, imprimés sur de fines feuilles de papier ne coûtant que quelques centimes. Les titres à la une attirent cependant notre attention, criant qu'un des points principaux mis en avant par l'Administration américaine pour justifier la guerre est faux.

They claim Niger has never sold uranium to Saddam Hussein, that all the documents are falsified and the signature of the President of Niger has been forged. This must be big news in America so we log into an internet cafe. Nothing. How is it that street sheets in Niger are denouncing a point made by the President of the United States during the State of the Union Address as a forgery, but the information is nowhere to be found in US news? It is not until 4 months later, when Joseph Wilson writes his op-ed in The New York Times, that the scandal blows up.
Ils prétendent que le Niger n'a jamais vendu d'uranium à Saddam Hussein, que tous les documents étaient des faux et que la signature du Président du Niger avait été falsifiée. Ça doit faire grand bruit aux Etats-Unis, donc nous allons donc au café-internet. Rien. Comment se fait-il que les feuilles de chou au Niger dénoncent comme un mensonge l'un des points soulignés par le Président des Etats-Unis durant sont Discours sur l'Etat de l'Union, mais l'information n'est nulle part dans les nouvelles des USA ? Ce n'est que quatre mois plus tard, quand Joseph Wilson écrira son éditorial dans le New York Times, que le scandale éclatera.

What does this tell in terms of education, information and freedom of speech? The idea of being in the best, the freest, and the most powerful country is taught to us from a very early age. Prejudices surfaced in me throughout the trip, like the feeling that I was smarter or better educated than even many of the government agents I was meeting. The first time I saw a man at the border in a djellaba (middle-eastern cloak for men), I thought he was a lower ranking officer. As it turns out, he was an intelligence official who had traveled throughout Europe, spoke 6 languages fluently and played with me like a cat.
Qu'est-ce que cela nous dit en termes d'éducation, d'information et de liberté de parole ? L'idée que nous somme le meilleur, le plus libre et le plus puissant pays au monde nous est enseignée dès notre plus jeune âge. Les préjugés en fait surface en moi à travers le voyage, comme le sentiment que j'étais plus intelligente ou avec mieux éduquée que beaucoup des officiels que je rencontrais. La première fois que j'ai rencontré un homme en djellaba, à la frontière, je pensais qu'il n'était qu'un officier de bas niveau. En fait, il était un agent des services de renseignements qui avait voyagé à travers l'Europe, parlait 6 langues couramment, et qui s'amusa avec moi comme un chat.

The seeds had been planted so early and so well in my psyche, yet what surprised me most was not that I was feeling it, but the intensity that I felt it. Our education sets a paradigm of greater/lesser or best/worst which affects our perception of the rest of the world throughout our lives. This confidence relies in large part on the fact that we have the freest press in the world: if we are the best informed people on the planet, we must be closer to the Truth than anybody else. Still, street sheets in Niger had it right 4 months ahead of all our 24-hour news channels but there was no one to listen. How many other truths do we miss every day?
Les graines avaient été plantées si tôt et si profond en moi, mais ce qui me surprit le plus, ce n'était pas de le ressentir en soi, mais l'intensité avec laquelle je l'ai perçu. Notre éducation met en place un paradigme de plus-grand/plus-petit ou de meilleur/pire qui affecte notre perception du reste du monde tout au long de notre vie. Cette confiance s'appuie en grande part sur le fait que nous avons la presse la plus libre au monde: si nous somme le peuple le mieux informé de la planète, nous devons être plus près de la Vérité que quiconque d'autre. Et pourtant, les feuilles de chou au Niger avaient raison 4 mois avant toutes nos chaînes d'information continue, mais il n'y avait personne pour écouter. Combien d'autres vérité ratons-nous tout les jours ?




Heading to the local cafe for the news offers something rare -- it gets people with many different opinions expressing their beliefs to one another. Debate is prevalent and welcome most everywhere we go, no doubt because people live so enmeshed in their community. The streets have more pedestrians and animals than cars, with everyone interacting and dealing with one another. When a young boy starts screaming in front of me, his brother tells me laughing, "He's scared of you, he has never seen a white person!" Everything is pretext to start a conversation. Being a part of this intimacy of life, this network, this entanglement, overwhelms me, but it is this face to face interaction and constantly being addressed which is the fabric of so many communities here.
Aller au café pour écouter les nouvelles offre une vision rare - les gens de diverses opinions expriment les uns aux autres ce en quoi ils croient. Quasiment partout où nous allons, ça débat et l'on est invité à participer, sans aucun doute parce que les gens vivent tellement intégrés dans leur communauté. Il y a dans les rues plus de piétons et d'animaux que de voitures, tout le monde en interaction les uns envers les autres. Quand un petit garçon se met à hurler devant moi, son frère me dit en riant, "Il a peur de toi; il n'a jamais vu de blanc !". Tout est prétexte pour démarrer une conversation. Faire partie de cette intimité de vie, ce réseau, ce foisonnement, m'étouffe mais c'est cette interaction face-à-face, et le fait d'être constamment interpellé qui est la trame de tant de communautés ici.

My skin color attracts attention and I am embarrassed by it -- I mean the skin. Black is beautiful. Mine looks like a naked rabbit under the sun. Pink, blotchy, sweaty, dirty, I look sickly, I don't belong here. As for the attention, nothing beats having your picture on the front page of the largest newspaper in the country the day you arrive in the capital. Two journalists noticed us the day before; now 4 million readers in Kenya are looking to spot the two motorcyclists who are crossing their continent. We sign autographs, we pose for pictures, our 15 minutes of fame last an entire week.
Ma couleur de peau attire l'attention et je me sens embarrassée - par la peau, je veux dire. "Black is beautiful" ("le noir, c'est beau"). La mienne a l'air d'un lapin tout nu sous le soleil. Rose, tachée, en sueur, sale, j'ai l'air malade, je ne suis pas dans mon élément ici. Quant à attirer l'attention, rien ne vaut avoir sa photo en première page du plus grand journal du pays le jour où vous arrivez dans la capitale. Deux journalistes nous ont remarqués, et soudain 4 millions de lecteurs au Kenya sont à la recherche des deux motards qui traversent leur continent. Nous signons des autographes et posons pour des photos, nos 15 minutes de célébrité durent toute une semaine.

Another American was on the front page a few days ago as well. He too is crossing the continent. 5 countries in 5 days: President Bush is touring Africa, promising $15 billions for AIDS relief. The American media detail overwhelming success and public support. However, here in Africa, newspapers report lukewarm welcomes, low turn-outs, and overall distrust that his words would ever manifest into actions. A fortune-teller is quoted saying before Bush arrives: "This man is very rich and very powerful, but his money and his words will fly back back to his country with him."
Un autre Américain était à la une quelques jours auparavant. Lui aussi traversait le continent. 5 pays en 5 jours: le Président Bush faisait un tour en Afrique, promettant 15 milliards de dollars pour le traitement du SIDA. Les média américains détaillent un succès étourdissant et le support des populations. Cependant en Afrique, les journaux rapportent un accueil plutôt tiède, une faible participation, et une méfiance générale que ses mots ne se manifestent un jour en actions. Une voyante est citée avant que Bush n'arrive: "Cet homme est très riche et très puissant, mais son argent et ses paroles s'envoleront avec lui lorsqu'il retournera dans son pays".

She must have had a talent: for several months as we ride towards South-Africa, we hear now and then confirmations of what she had foreseen. The budget is cut; it includes moneys already promised and comes with strings attached: you can't buy generic medications, you can't help prostitutes, you must spend on abstinence. The generosity of the American taxpayer is absorbed along the way, lost in ideologies and policies: 25% of the budget goes to religious organizations, while the bigger chunk profits the pharmaceutical companies.
Elle devait avoir un don - pendant plusieurs mois, alors que nos roulons vers l'Afrique du Sud, nous entendons les confirmations de ce qu'elle avait prédit. Le budget est réduit; une partie n'était qu'un rappel de précédentes promesses, et la plupart du reste est soumis à conditions: vous ne pouvez pas acheter de médicaments génériques, vous ne pouvez pas aider les prostituées, vous devez dépenser en faveur l'abstinence. La générosité du contribuable américain est absorbée en chemin, perdu dans les idéologies et les politiques: 25% du budget va aux organisations religieuses, alors que le plus gros morceau profite aux sociétés pharmaceutiques.

By and large, America has an image that is admired all around the planet: people watch American movies and wear American clothes, they learn about our history and are fascinated by our technology. Two guys to whom Pierre was explaining the GPS start talking in their native language and laughing out loud. We insist to know why and they finally admit, still laughing: "The white man! He doesn't stop inventing things!" Curiosity and generosity are common traits within all of humanity that will always bring people together, and there is indeed a tremendous goodwill out there. But human beings also have two basic needs they will die for: safety and justice.
Dans sa grande majorité, l'image de l'Amérique est admirée autour de la planète: les gens regardent des films américains et s'habillent à l'américaine, ils apprennent notre histoire et sont fascinés par notre technologie. Deux types à qui Pierre explique le GPS commencent à parler dans leur langue locale et s'esclaffent de rire. Nous insistons pour savoir pourquoi, et finalement ils admettent, toujours en train de rire, "L'homme blanc - il n'arrête pas d'inventer des choses nouvelles !". La curiosité et la générosité sont des traits communs à l'humanité dans son ensemble qui rapprocheront toujours les peuples, et c'est vrai qu'on trouve partout une incroyable bonne volonté. Mais les êtres humains ont aussi deux besoins essentiels pour lesquels ils peuvent mourir: la sécurité et la justice.

It is almost a year since we started our journey at Africa's northernmost tip of Tunisia. We now are at the southern tip, in Cape Town, South Africa. The apartheid was wiped off the law 10 years ago but social and economic barriers are still very present. It is the first time since we arrived on the continent where black africans will not approach us. I feel like I am living 40 years ago in America, just after the Civil Rights Act was passed. The laws are in place, but not the minds yet.

We wait a month here for a plane, and finally, with mixed emotions say farewell to this diverse continent that will more than any other affect me and teach me about the broad spectrum of humanity. Africa tells the story of the world and how we treat each-other.
Ça fait presque un an que nous avons entamé notre voyage au point le plus au nord de l'Afrique, en Tunisie. Nous sommes maintenant au point le plus au sud, à la ville du Cap, en Afrique du Sud. L'apartheid a été balayé des lois 10 ans auparavant, mais les barrières économiques et sociales sont toujours très présentes. C'est la première fois depuis que nous sommes arrivés sur le continent que les Africains noirs ne nous approchent pas. J'ai l'impression de vivre en Amérique il y a 40 ans, juste après que le Civil Rights Act fut voté. Les lois étaient en place, mais pas encore les états d'esprits.

Nous attendons un avion ici pendant un mois, et finalement, avec un mélange d'émotions disons au-revoir à ce continent qui, plus qu'aucun autre, m'affectera et m'enseignera sur le large spectre de l'humanité. L'Afrique raconte l'histoire du monde et de comment nous nous traitons les uns les autres.




We cross the Atlantic and land in Buenos Aires, Argentina. As busy as London, as chic as Paris and as joyous as Barcelona, it's a city that really thinks it is in Europe. We splurge on the best meat in the world, gulp down delightful red wines, and take tango lessons to burn it all off. Everything is incredibly cheap for the foreign traveller but the lasting effects of Argentina's economy crash 12 months ago are still painfully evident for the population.
Nous franchissons l'Atlantique et arrivons à Buenos Aires en Argentine. Aussi affairée que Londres, aussi chic que Paris et aussi joyeuse que Barcelone, c'est une ville qui se croit vraiment en Europe. Nous nous empiffrons de la meilleure viande au monde, déglutissons des vins rouges délectables, et prenons des leçons de tango pour brûler tout ça. Tout est incroyablement bon marché pour le voyageur étranger, mais les répercutions du crash économique en Argentine un an plus tôt sont toujours douloureusement évidentes pour la population.

On my way to Spanish lessons each morning I pass the now abandoned Bank of Boston. One year later, people still come everyday to bang pots and beat on the doors with hammers. Tags are written in English and Spanish: "Thieves! Crooks! Return the money!" Some protesters explain to us that the bank closed its doors overnight and fled the country, taking many Argentineans' life savings with them. They're not the only ones: Citibank and other foreign banks closed and left as well.
Sur le chemin de ma classe d'espagnol chaque matin, je passe devant la Bank of Boston maintenant abandonnée. Un an plus tard, tous les jours, les gens viennent cogner des casseroles et frapper aux portes avec des marteaux. Des tags sont écrits en anglais et espagnol: "Voleurs ! Escrocs ! Rendez-nous l'argent !". Des manifestants nous expliquent que la banque a fermé ses portes d'un jour à l'autre et fuit le pays, emportant avec eux les économies de nombreux Argentins. Ils ne sont pas les seuls: Citibank et d'autres banques étrangères ont fermé et sont parties aussi.

At the origin of that kafkaesque nightmare is a set of economic policies that were applied throughout South-America since the 80s, known as the Washington Consensus. But it wasn't a consensus at all -- the countries were never invited in the US to sign any agreement. It refers to a formula for economic growth that was concocted by a small group of US administrations and think-tanks all based in Washington. The experience backfired and now, at least once a week, the city streets in Buenos Aires are shut down by thousands of protesters. I look at the little lady banging her pots and the power of my country scares me. I wish no other nation will ever have that influence on America.
A l'origine de ce cauchemar kafkaïen se trouve un jeu de politiques économiques qui furent appliquées à travers l'Amérique du Sud depuis les années 1980, connu sous le nom de Washington Consensus. Mais ce n'était pas du tout un "consensus" - les pays n'ont jamais été invités aux US pour signer quelque accord que ce soit. En fait, le terme désigne une formule pour la croissance économique qui fut concoctée par un petit groupe de comités de réflexion et d'administrations américaines, tous basés dans la ville de Washington. L'expérience leur péta à la figure et maintenant, au moins une fois par semaine, les rues de Buenos Aires sont bloquées par des milliers de manifestants. Je regarde la petite bonne femme frappant ses casseroles et la puissance de mon pays me fait peur. J'espère que nulle autre nation n'aura jamais cette influence sur l'Amérique.




And yet Argentina might be the country in the world that is the most similar to America. It is almost entirely a nation of immigrants, a country with an incredible diversity of landscapes, a mosaic of cultures and terrains. For several hundred miles, the rocky road is like a roller-coaster, winding, bending throughout the Andes, turning from intense bright yellow brush, to ragged mountains layered in turquoise, mauve, and patina green. The road did not exist ten years ago, people had to travel on horseback or hop small boats from fjord to fjord.

We finally leave the mountains and enter Chile just as the Iraqi prison scandal breaks. There was already worldwide protests against the invasion of a country under the pretext of Freedom and Democracy, but now members of the US military were committing acts against the Iraqi people as brutal as their former ruler. Like nothing I have ever felt before, the tortures at Abu Ghraib affect me more than any other external incident in my life.
Et pourtant l'Argentine est peut-être le pays au monde le plus similaire aux Etats-Unis. C'est une nation composée presque entièrement d'immigrants, un pays d'une incroyable diversité de paysages, une mosaïque de cultures et de terrains. Pendant plusieurs centaines de kilomètres, la piste rocailleuse ressemble à une montagne russe, serpentant à travers les Andes, passant de plaines d'arbustes jaune-vif à des montagnes escarpées, découpées en couches turquoises, mauves et de patine verte. La route n'existait pas il y a 10 ans; les habitants devaient voyager à dos de cheval ou prendre des petits bateaux qui sautaient de fjord en fjord.

Nous quittons finalement les montagnes et entrons au Chili - juste lorsque le scandale de la prison Irakienne éclate. Il y avait déjà des manifestations à travers le monde contre l'invasion d'un pays sous les prétextes de Liberté et Démocratie, mais maintenant les troupes de l'armée américaine commettent des actes contre le peuple Irakien aussi brutaux que ceux de leur ancien dictateur. Comme rien de ce que j'ai pu ressentir par le passé, les tortures commises à Abu Grahib m'affectent plus que tout autre événement externe dans ma vie.

The media in Chile unleash a fury, and it's quite understandable in a country still marked by the dictatorship of General Pinochet. During his regime, 3,000 were killed and tens of thousands tortured. Animals, humiliations and mock executions were amongst the main techniques employed here too. The photographs of the hooded and naked Iraqis are on every magazine and newspaper in the outdoor kiosks and newsstands, under sarcastic headlines such as "Por fin, hay democracia en Irak!" -- "Finally there is Democracy in Iraq!"

Being here away from my country makes it all the more enraging. As we watch reports from the US and compare with local news, we are dismayed by the lack of depth and questioning at home.
Les média au Chili se déchaînent en furie, et c'est bien compréhensible dans un pays encore marqué par la dictature du Général Pinochet. Pendant son régime, 3000 personnes furent tuées et des dizaines de milliers torturées. Animaux, humiliations, et simulacres d'exécution faisaient partie des techniques les plus courantes ici aussi. Les photos des Irakiens nus et masqués sont sur tous les journaux et magazines, affichés dans les kiosques et les présentoirs sous des titres sarcastiques tels que "Por Fin, Hay Democracia en Irak" - "Enfin, il y a la démocratie en Irak".

Être loin du pays rend tout cela encore plus enrageant. Alors que nous regardons les compte-rendus des US et comparons avec les nouvelles locales, nous somme consternés par le manque de profondeur et de remise en question chez nous.

The greatest affront to me was that apologies were not given immediately. President Bush waits 3 days before coming out and pronouncing his only comment "I don't like it, I don't like it one bit." These images are now part of my nation's history, and they will undoubtedly have a long lasting impact throughout the world. I feel shame. I feel personally responsible without knowing why, and even today it remains a fresh wound.
Le plus grand affront pour moi fut que les excuses ne vinrent pas immédiatement. Le Président Bush attend 3 jours avant de sortir et prononcer pour seul commentaire "Je n'aime pas ça, je n'aime pas ça du tout". Ces images font maintenant partie de l'histoire de mon pays, et elles auront sans aucun doute un impact durable à travers le monde. J'ai honte. Je me sens personnellement responsable sans savoir pourquoi, et encore aujourd'hui cela demeure une blessure ouverte.


All over South America, in the countries that once sheltered dictatorships with the tacit consent of the US, as well as in those that suffered from Washington's economic policies, we are witnessing a shift. People have elected as President a single mom and former victim in Chile, an indigenous activist in Bolivia, a former shoeshine boy in Brazil, an ex political prisoner in Argentina -- all socialists, like the presidents of Uruguay and Venezuela.
À travers l'Amérique du Sud, dans les pays qui hébergèrent des dictatures avec l'approbation tacite des US ou qui souffrirent des politiques économiques de Washington, nous assistons à un renversement. Les populations ont élu une mère célibataire et ancienne victime au Chili, un Indien activiste en Bolivie, un ancien cireur de chaussures au Brésil, un ex prisonnier d'opinion en Argentine - tous socialistes, comme les présidents d'Uruguay et du Venezuela.




We return to America through Miami. From the plane at night, the city is like a glowing circuit grid of fireworks, and there is a feeling that I am seeing this spectacle for the first time. The modernity of most everything here is a marvel -- colors, materials, and especially those manicured, finely-tuned public lawns. I imagine what a tribesman from a village in Africa would see, as half the worlds population has never flown in a plane, driven in a car, or talked on a phone. My own feelings are full of contradiction.
Nous rentrons aux US par Miami. De l'avion la nuit, la ville ressemble à une circuit électronique scintillant de feux d'artifices, et j'ai le sentiment de voir ce spectacle pour la première fois. La modernité de toute chose ici est une merveille - couleurs, matériaux, et surtout ces pelouse publiques manucurées et finement ajustées. J'imagine ce que verrait le membre d'une tribu d'un village en Afrique, sachant que la moitié de la population mondiale n'a jamais volé en avion, conduit une voiture, ou parlé au téléphone. Mes propres sentiments sont pleins de contradiction.

September 11 was devastating, but also something that bound us like never before to other people around the world. On that day, we had such support and empathy, yet 2 years later I was trying to figure out how to tell people that I was from America. There has been no other time where a country had the sympathy of so many others, and did absolutely nothing with it. What happened?
Le 11-septembre était dévastateur mais ce fut aussi quelque chose qui nous lia comme jamais auparavant aux autres populations à travers le monde. Ce jour-là nous avions un tel support, une telle empathie - mais à peine 2 ans plus tard, je me demandais comment dire aux gens que j'étais Américaine. Il n'y a jamais eu un autre moment où un pays eut la sympathie de tant de gens, et n'en fit absolument rien. Qu'est-ce qui s'est passé ?


America is one of the most diverse and beautiful places on Earth, and in the past we have been largely tolerant of each-other. Many people welcome us back and want to know how the world sees the US since the war. We tell them they are for the most part informed and love America, but despise our foreign policy. Still, as we ride through Florida and the Deep South, we see numerous bumper stickers calling to boycott France, posters that mix mourning and revenge, and patriotic T-shirts threatening anyone who dishonors America.
L'Amérique est un des endroits les plus beaux et les plus divers sur la planète, et dans le passé nous avons été largement tolérants les uns envers les autres. Beaucoup nous souhaitent la bienvenue de retour au pays, et veulent savoir comment le monde perçoit les US depuis la guerre. Nous leurs disons que pour la plupart les gens sont bien informés et aiment l'Amérique, mais rejettent nous politique extérieure. Pourtant, alors que nous roulons à travers la Floride et le Sud Profond, nous voyons de nombreux autocollants appelant à boycotter la France, des posters mélangeant deuil et revanche, et des t-shirts menaçant quiconque oserait manquer de respect pour l'Amérique.

While traveling, Pierre and I had frequently talked with strangers and it often made for dynamic debate but rarely did it turn to anger. Here, there is a tension and a defensiveness we haven't encountered elsewhere, nor had it been in the US before we left -- and the undertow of hostility startles us. It wasn't until I returned home to my own country that I heard the words "If you don't like it here, you can go live in another country", or "You'd better watch what you say" followed by "You live in the freest country on Earth!"
Pendant le voyage, Pierre et moi avons fréquemment parlé avec des inconnus, et ce fut souvent l'occasion de débats dynamiques. Mais ça ne tourna que rarement à la colère. Ici, il y a une tension et une attitude défensive que nous n'avons rencontré nulle part ailleurs, et qui n'existait pas lorsque nous sommes partis - et l'hostilité sous-jacente continue à nous surprendre. Ce ne fut pas avant d'être rentrée dans mon propre pays que j'entendis les mots "Si ça ne te plaît pas ici, tu peux aller vivre dans un autre pays" ou "Tu ferais bien de faire attention à ce que tu dis" suivi de "Tu vis dans le pays le plus libre sur Terre !"

Part of the modern American experience is the notion that we have nothing to learn from anyone. This attitude used to separate us from the rest of the world, and now I feel it is tearing us apart at home as well. It was inevitable that it should turn on itself. When we begin to think in isolationist terms such as "Why do they hate us?", we lose touch not just with other people and cultures, but with our own humanity.
Une composante de la vie américaine moderne est la notion que nous n'avons rien à apprendre de quiconque. Cette attitude nous séparait du reste du monde, et maintenant je sens qu'elle nous divise aussi chez nous. Il était inévitable que cela se retourne contre nous. Quand nous commençons à penser en termes isolationnistes tels que "Pourquoi nous haïssent-ils ?", nous ne perdons pas seulement contact avec les autres populations et cultures, mais aussi avec notre propre humanité.